Le rôle de l’apprentissage par le jeu sur le développement cognitif
Doris Bergen, Ph.D., professeur émérite en psychologie éducative
Miami University, États-Unis
Introduction
Le rôle notable joué par l’apprentissage par le jeu dans la stimulation du développement cognitif des jeunes enfants a été décrit par les premiers théoriciens, éducateurs et chercheurs, comme Plato (p. 24),1 Froebel2 et Gesell;3 des théoriciens et chercheurs ultérieurs, notamment Bruner,4 Erikson,5 Piaget6 et Vygotsky;7 et des théoriciens et chercheurs plus récents, tels Bodrova et Leong,8 DeVries,9 Fein,10 et Singer et Singer.11 Cependant, au cours des dernières années, le temps consacré à l’apprentissage par le jeu et où l’enfant est actif a été écourté dans de nombreux établissements préscolaires. En effet, la préparation scolaire constitue de plus en plus la priorité et l’importance du jeu a ainsi été réduite au minimum par certains éducateurs, concepteurs de programmes préscolaires et responsables politiques, tout comme par le grand public. L’hypothèse du présent article est que l’apprentissage par le jeu constitue un excellent environnement qui favorise le développement cognitif des jeunes enfants, particulièrement les capacités de réflexion essentielles au perfectionnement cognitif. Les résultats des études sur le rôle du jeu dans le développement cognitif divergent. Par conséquent, des études longitudinales solides sont nécessaires pour étudier l’ampleur et la durabilité des effets cognitifs de l’apprentissage par le jeu chez les jeunes enfants.
Sujet
Le rôle du jeu comme moyen d’apprentissage12 est mis de l’avant par de nombreux professionnels de la petite enfance depuis le début de l’instauration des programmes préscolaires, au début du 20e siècle. Cependant, le rôle de l’apprentissage par le jeu dans la stimulation du développement cognitif chez les jeunes enfants a toujours fait débat, surtout dans des matières spécifiques, comme la lecture et les mathématiques.
Problèmes
Bien que l’attention accordée aujourd’hui à l’enseignement préscolaire soit tout à fait louable et ait entraîné l’augmentation du financement alloué aux programmes préscolaires auxquels de plus en plus d’enfants peuvent aller, les défenseurs actuels de l’enseignement préscolaire ne se sont pas toujours basés sur la théorie et la pratique pour l’éducation des jeunes enfants et ont considéré « l’apprentissage » comme un exercice dirigé par un enseignant, hautement structuré et difficile qui doit être imposé aux jeunes enfants. Cette vision est particulièrement problématique pour les discussions axées sur le rôle du jeu dans la stimulation du développement cognitif, car le jeu implique habituellement des types d’apprentissage initiés par l’enfant qui sont difficilement quantifiables, et par conséquent, les adultes sont souvent vagues sur la façon d’offrir de telles opportunités et d’évaluer l’apprentissage obtenu grâce aux expériences de jeu riches et diversifiées.
Contexte de la recherche
La relation entre le jeu et le développement cognitif a été évaluée par différents types de méthodes, notamment des études observationnelles, des études expérimentales et des recueils de données basés sur des auto-évaluations. Toutefois, la plupart des études portant sur le jeu, y compris celles consacrées à la relation possible entre le jeu et la cognition, ont reçu un financement minimal : elles ont ainsi été conduites à petite échelle, à court terme et généralement sans réplication. En conséquence, les études axées sur l’apprentissage par le jeu ne sont pas très solides et présentent un mélange de résultats, selon les différentes variables analysées (en grand nombre) et les difficultés rencontrées par les chercheurs.13
Questions clés pour la recherche
En raison des besoins de justifier le temps consacré au jeu dans les programmes préscolaires, les chercheurs ont tenté d’étudier les effets possibles de la simulation (faire-semblant), des jeux et des jouets de construction sur des types particuliers d’apprentissage comme, l’acquisition du langage, la lecture et les mathématiques, et d’autres aptitudes cognitives, telles les fonctions exécutives, la créativité, le développement social et moral et la théorie de l’esprit (c’est-à-dire la capacité de comprendre ses propres états mentaux et de se rendre compte que les autres individus peuvent présenter des états mentaux similaires ou différents des siens). De nombreux chercheurs ont étudié ces questions et rapporté divers types de développements intellectuels associés à des méthodes ludiques d’apprentissage.14
Récents résultats de recherche
Concernant les différents types de compétences scolaires, de bons exemples du rôle du jeu dans l’apprentissage des lettres ont été décrits.15 Ces études ont mis en évidence de nombreux résultats positifs en termes d’apprentissage chez les enfants participant à des activités ludiques liées au matériel d’alphabétisation. Kami16 a démontré que différents types de compétences mathématiques, comme compter, classer et comprendre les dimensions spatiales et temporelles, peuvent être encouragées par des interactions de nature ludique entre l’enfant et le matériel d’acquisition de telles compétences. Par ailleurs, Griffin, Case et Siegler17 ont associé les activités mathématiques ludiques avec l’amélioration du développement « des structures conceptuelles centrales » de la pensée. D’autres chercheurs ont rapporté une amélioration de la théorie de l’esprit par l’entremise du jeu18,19 et ont mis en évidence une relation entre les capacités de simulation avec les aptitudes à la théorie de l’esprit, bien qu’ils n’aient pas élucidé clairement si les jeunes enfants considèrent la simulation comme une activité mentale.20 Wyver et Spence21 qui ont, quant à eux, étudié la résolution des problèmes par le jeu, ont noté une relation davantage réciproque plutôt qu’unidirectionnelle entre les jeux demandant de la coopération et la résolution des problèmes. Dans une synthèse récente des études portant sur la simulation, Lillard et ses collaborateurs22 ont indiqué que certains effets du jeu sur les compétences langagières avaient été démontrés, mais que les résultats en termes de raisonnement, de créativité et de diverses compétences scolaires n’étaient pas uniformes. Bien que dans toutes ces études, les activités étaient qualifiées de « jeu », leur majorité était contrôlée par un adulte et non par l’enfant. De plus, la plupart des études sur le jeu sont conduites à court terme, et les résultats associés aux gains cognitifs à long terme sont ainsi souvent flous ou absents.
Des études longitudinales ont permis de mettre en évidence certaines relations. Par exemple, Wolfgang et ses collaborateurs23 ont signalé que les enfants d’âge préscolaire participant à des jeux de cubes complexes obtenaient des bienfaits à long terme concernant leurs compétences mathématiques. Bergen et Mauer,24 quant à eux, ont mentionné que des enfants de niveau préscolaire jouant fréquemment avec du matériel d’alphabétisation présentaient une plus forte probabilité de devenir des lecteurs spontanés de signes et un langage de simulation plus sophistiqué lors d’une « activité de construction d’une cité » à l’âge de 5 ans. Lors d’une étude conduite par auto-évaluation de souvenirs de sujets d’âge collégial sur leurs activités ludiques lorsqu’ils étaient jeunes enfants, Davis et Bergen25 ont démontré que des signalements élevés de simulation et de participation à des jeux étaient reliés de manière significative à des taux élevés de raisonnement moral de niveau adulte. De manière intéressante, Root-Bernstein et Root-Bernstein26 ont remarqué que les lauréats du prix MacArthur qui récompense la créativité présentaient un taux élevé de simulation par création de « petits mondes » lorsqu’ils étaient tout petits.
Lacunes de la recherche
Les études sur l’apprentissage par le jeu présentent de nombreuses lacunes pour au moins quatre raisons. Premièrement, la définition de l’apprentissage par le jeu varie selon les éducateurs et les chercheurs, de sorte que les expériences de jeu peuvent différer en durée, quantités de directives formulées par l’adulte et d’interactions avec ce dernier, accessibilité au matériel ludique et méthodes d’obtention de données. Ainsi, ce qu’un éducateur ou chercheur peut nommer « apprentissage par le jeu » peut diverger considérablement d’un individu à l’autre. Les programmes d’enseignement intitulés « par le jeu » sont souvent fortement dirigés par l’enseignant et le temps disponible pour les activités ludiques auto-dirigées est en général réduit. Deuxièmement, de nombreuses études portant sur l’apprentissage par le jeu s’intéressent uniquement à l’apprentissage des compétences scolaires et non au rôle du jeu dans la stimulation d’autres types de développements intellectuels. Troisièmement, la majorité des études sont menées à court terme alors qu’elles devraient être longitudinales (c’est-à-dire d’une durée minimale d’une année préscolaire) pour mesurer les progressions cognitives. Il faut noter que, néanmoins, lors des études longitudinales, certains facteurs de développement global peuvent avoir un impact sur le développement cognitif. Finalement, comme les enfants tirent profit des programmes préscolaires de manière associée aux expériences de jeu à domicile, aux types d’activités ludiques, aux aptitudes et à la situation économique familiale spécifiques de l’enfant, ces particularités peuvent aussi altérer les résultats des études du développement cognitif par le jeu. Néanmoins, les bases théoriques et expérimentales qui appuient l’importance de l’apprentissage par le jeu sont tellement fortes, la priorité devrait être d’accorder davantage de financement et d’attention à la recherche consacrée à cette problématique.
Conclusion
L’intérêt pour l’apprentissage par le jeu au niveau préscolaire et son soutien ont évolué au cours des 75 à 100 dernières années. Les forts soutiens et intérêts actuels pour le jeu de l’enfant sont très prometteurs. Le jeu chez les jeunes enfants est précieux pour renforcer de nombreux aspects du développement, et pas seulement ceux liés à des compétences scolaires spécifiques, et par conséquent l’étude de l’apprentissage par le jeu doit en grande partie être fondée sur la théorie et être rigoureuse sur le plan scientifique. Elle doit inclure l’analyse du jeu auto-dirigé et les expériences de jeu dirigées par les adultes. Des études longitudinales sont par ailleurs nécessaires.
Implications pour les parents, les services et les politiques
Les décisions prises par l’ensemble des groupes associés aux services et politiques devraient être élaborées sur la compréhension profonde du jeu et de son rôle essentiel dans la vie quotidienne des jeunes enfants. Les parents devraient être particulièrement vigilants quant à la surveillance du temps consacré au jeu par leurs jeunes enfants, notamment avec des appareils électroniques, et veiller à ce qu’ils jouent également avec du matériel classique et à l’extérieur. Bien que l’apprentissage par le jeu constitue un aspect important de l’enseignement préscolaire, il doit être apprécié non seulement sur le plan des compétences scolaires acquises par les enfants, mais aussi pour le soutien à l’apprentissage de l’autorégulation, de la maîtrise de ses émotions, des fonctions exécutives, de la compréhension sociale, de la créativité et d’autres aptitudes cognitives, et bien sûr juste pour la joie que le jeu procure aux enfants.
Références
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Pour citer cet article :
Bergen D. Le rôle de l’apprentissage par le jeu sur le développement cognitif. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Pyle A, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/apprentissage-par-le-jeu/selon-experts/le-role-de-lapprentissage-par-le-jeu-sur-le-developpement. Publié : Février 2018. Consulté le 23 novembre 2024.
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