La relation parent-enfant pendant la petite enfance et le développement de l’anxiété et de la dépression
Jennifer L. Hudson, Ph.D.
Centre for Emotional Health, Department of Psychology, Macquarie University, Australie
, 2e éd.
Introduction
Les parents jouent un rôle important dans le développement de la santé affective de leurs enfants, particulièrement au cours de la petite enfance.1 Pour mieux comprendre l’impact de la relation parent-enfant sur l’émergence de l’anxiété et de la dépression chez les jeunes enfants, trois principaux construits ont fait l’objet de recherches : 1) la tendance à la surprotection et/ou à la critique des parents; 2) le modèle qu’offrent les parents anxieux 3) la sécurité de l’attachement de l’enfant envers ses parents ou tuteurs.
Sujet
L’un des facteurs clés impliqués dans le maintien des troubles anxieux est l’évitement des situations craintes. Les comportements parentaux comme la surprotection, par lesquels le parent accepte ou renforce les stratégies d’évitement de l’enfant, sont susceptibles d’avoir un impact sur le maintien et le développement des troubles anxieux.2 La surprotection ou l’implication excessive des parents dans la vie de l’enfant peuvent limiter ses opportunités de faire face à des situations nouvelles et potentiellement inquiétantes. La théorie propose qu’en ayant moins de telles opportunités, l’enfant sera moins en mesure de s’habituer aux menaces perçues dans ces situations, d’apprendre à identifier les vraies menaces en contexte de nouveauté et de réaliser qu’il est capable de gérer des situations difficiles. Un autre style de parentage qui a reçu beaucoup d’attention en matière de développement de problèmes affectifs est le style critique. Le parentage critique a été systématiquement associé à la dépression et, dans une moindre mesure, à l’anxiété chez l’enfant.3-5 On a émis l’hypothèse que les parents qui critiquent l’enfant et minimisent ses émotions entravent sa régulation émotionnelle et accentuent sa vulnérabilité à des problèmes affectifs comme l’anxiété et la dépression.
Le modèle qu’offrent les parents qui adoptent des comportements craintifs et des stratégies d’évitement est aussi susceptible d’accroître le risque que l’enfant développe ultérieurement des problèmes affectifs.6 Un parent anxieux peut plus fréquemment donner l’exemple de comportements anxieux ou transmettre des indices de menace ou d’évitement à son enfant, augmentant ainsi le risque que celui-ci développe un trouble anxieux. La théorie veut que l’impact de l’anxiété parentale, de la surprotection par les parents ou d’un parentage critique soit exacerbé lorsque l’enfant a un tempérament inhibé.2
Finalement, un attachement insécurisé entre l’enfant et son parent a aussi été relevé comme facteur de risque de développement de troubles anxieux.7 L’attachement est le lien affectif intime qui se forme entre un enfant et son parent/tuteur; différents modèles d’attachement ont été identifiés.8 L’enfant vit un attachement insécurisé (par opposition à sécurisé) lorsqu’il perçoit que son parent est imprévisible ou qu’il ne se sent pas à l’aise dans sa relation avec lui. Les théoriciens de l’attachement ont proposé qu’un attachement insécurisé se forme lorsque le parent est insensible aux besoins de l’enfant et qu’il n’y répond pas adéquatement. L’attachement insécurisé a été associé à l’anxiété et à la dépression.7,9-11 On a suggéré que les enfants dont l’attachement était insécurisé ne seraient pas en mesure de développer leurs habiletés de régulation émotionnelle et une estime de soi positive.
Problèmes
Un problème important que rencontrent les études examinant l’impact de la relation parent-enfant sur les problèmes affectifs de l’enfant est la difficulté d’évaluer correctement la relation parent-enfant. Les premières recherches ayant examiné le parentage surprotecteur et critique étaient fondées sur les rapports rétrospectifs d’adultes souffrant d’anxiété et de dépression, ce qui a mené à des résultats potentiellement biaisés.12 Plus récemment, les chercheurs ont utilisé des méthodes d’observation, en laboratoire ou à la maison, pour évaluer la surprotection et la négativité parentales.13 Ces méthodes ne sont toutefois pas infaillibles, puisque les parents peuvent se comporter plus positivement lorsqu’ils savent qu’ils sont observés.
Contexte de la recherche
La majorité des études ayant examiné la relation entre le comportement des parents et les troubles affectifs des enfants ont employé des devis transversaux, qui ne permettent pas de tirer des inférences causales. Quelques études longitudinales et expérimentales ont été publiées récemment et ont permis d’améliorer notre évaluation de l’impact causal du parentage sur la santé affective des enfants. La majorité de ces études ont été menées auprès d’enfants d’âge scolaire et peu d’entre elles ont exploré les interactions entre des enfants plus jeunes et leurs parents.
Questions clés de la recherche
- Quels comportements parentaux sont associés à l’anxiété et à la dépression pendant la petite enfance?
- Y a-t-il une relation causale entre le parentage et l’anxiété ou la dépression pendant la petite enfance?
- L’impact des comportements parentaux est-il plus grand lorsque les enfants ont un tempérament inhibé? Autrement dit, les comportements parentaux problématiques accroissent-ils le risque de troubles affectifs chez tous les enfants ou seulement chez ceux qui sont déjà à risque d’anxiété (c.-à-d. les enfants inhibés)?
Résultats récents de la recherche
Des études longitudinales montrant qu’un parentage surprotecteur pendant la petite enfance est associé au développement ultérieur de troubles anxieux ont récemment été publiées.14 Par exemple, Hudson et Dodd15 ont suivi des enfants inhibés et non inhibés depuis l’âge de quatre ans. L’anxiété des enfants à neuf ans pouvait être prédite par leur anxiété et leur inhibition à quatre ans mais aussi par l’anxiété et le comportement surprotecteur de leur mère : une plus grande anxiété chez la mère et un surinvestissement de sa part prédisaient une plus grande anxiété chez l’enfant. Ce résultat a aussi été obtenu dans plusieurs autres études. Bien qu’il appuie l’idée d’une relation entre le parentage et la psychopathologie ultérieure, l’effet observé est probablement faible. En effet, une méta-analyse a rapporté que le parentage dans son ensemble explique 4 % de la variance de l’anxiété des enfants d’âge scolaire et 8 % de la variance de la dépression infantile.5 On note aussi que, dans l’étude de Hudson et Dodd, la sécurité de l’attachement entre l’enfant et sa mère et la négativité maternelle ne prédisaient pas l’anxiété ultérieure de l’enfant.
Bien que les modèles théoriques suggèrent que les comportements parentaux interagissent avec le tempérament de l’enfant pour accroître le risque de difficultés chez celui-ci, ce type d’interaction n’a obtenu qu’un faible appui empirique. Les résultats disponibles à ce jour suggèrent plutôt que l’effet soit additif, à savoir que le comportement parental ferait croître le risque de difficultés chez tous les enfants et non seulement les enfants au tempérament inhibé.15 En revanche, Rubin et coll.16 ont montré que les comportements intrusifs de la mère et ses commentaires moqueurs modéraient la relation entre le tempérament inhibé de l’enfant à un an ou deux et sa réticence sociale ultérieure en milieu préscolaire.
En ce qui concerne le modelage de l’anxiété, un certain nombre d’études ont démontré que l’anxiété parentale peut être transmise par modelage et par transmission verbale d’indices de menace et d’évitement.17,18 Dans une étude expérimentale, de jeunes enfants ont manifesté une crainte et un évitement accrus devant un étranger après avoir été exposés à une interaction sociale anxieuse entre leur mère et un étranger.19 L’effet observé était plus fort chez les enfants au tempérament inhibé.
Lacunes de la recherche
Jusqu’à présent, les recherches dans ce domaine ont été menées presque exclusivement auprès de mères. Les connaissances sur le rôle du père dans le développement de l’anxiété et de la dépression pendant la petite enfance sont limitées. Or, le père pourrait jouer un rôle unique dans la prévention des problèmes affectifs en encourageant la prise de risques et les activités ludiques turbulentes. Il sera nécessaire d’effectuer plus de recherches à ce sujet.
Bien que quelques études longitudinales aient été publiées, plus de recherches seront requises pour évaluer le rôle causal des comportements parentaux dans le développement des problèmes affectifs et examiner les interactions possibles entre le tempérament de l’enfant et le parentage. L’une des difficultés à laquelle se bute la recherche explorant la transmission de l’anxiété est de distinguer l’impact du parentage ou du modelage parental de l’influence des gènes partagés par l’enfant et le parent.
Conclusion
Le parentage a un impact faible mais tout de même significatif sur le développement de l’anxiété et de la dépression chez les jeunes enfants. Les résultats de recherche les plus solides à ce sujet concernent la surprotection maternelle et l’anxiété chez l’enfant; une relation claire entre ces deux construits a en effet été établie. Des résultats donnant un sens causal à cette relation commencent à être publiés, mais plus de recherches seront nécessaires pour mieux comprendre ses subtilités et, surtout, sa nature bidirectionnelle. Des théories proposent que certains comportements parentaux aient un impact plus néfaste en présence d’inhibition chez l’enfant, mais les résultats empiriques à ce sujet ne sont toujours pas convaincants.
D’autres recherches ont démontré que les parents peuvent influencer leur enfant par modelage. On a montré empiriquement, dans un bon nombre d’études expérimentales, que le degré d’anxiété du parent, qu’il se manifeste par des comportements craintifs ou d’évitement ou la transmission de signaux de menace, influence les émotions et le comportement subséquents de l’enfant. Il sera nécessaire de mener des recherches longitudinales qui montrent l’impact de ce modelage au-delà de l’influence des gènes communs à l’enfant et au parent.
La sécurité de l’attachement entre l’enfant et son parent a été liée à la psychopathologie ultérieure. Étant donné le chevauchement de ce construit avec d’autres construits (comme le tempérament de l’enfant, les différents aspects du parentage, etc.), le degré auquel l’attachement prédit indépendamment l’évolution de l’enfant est incertain.
Implications pour les parents, les services et les politiques
L’identification des comportements parentaux qui accroissent le risque de problèmes affectifs ultérieurs chez l’enfant a des implications directes pour l’intervention précoce. Les résultats obtenus jusqu’à présent mettent en lumière l’importance pour les parents de réduire leurs comportements surprotecteurs et de limiter leur propre anxiété (pour éviter la transmission de l’anxiété par modelage ou par des indices verbaux de menace et d’évitement) s’ils veulent prévenir les problèmes affectifs chez leurs enfants. Selon certains modèles théoriques, l’enseignement de stratégies parentales de prévention des troubles affectifs devrait surtout être offert aux parents d’enfants inhibés, mais les résultats empiriques n’ont pas encore appuyé cette approche et suggèrent plutôt que tous les parents devraient apprendre à utiliser des stratégies qui favorisent l’autonomie de l’enfant (au lieu de stratégies de surprotection). Il reste toutefois un argument en faveur de mesures spécifiques aux parents d’enfants à risque. Comme, à l’heure actuelle, on croit que le risque est additif (et non multiplicatif), un parentage surprotecteur pourrait aggraver l’état déjà vulnérable d’un enfant inhibé alors que, chez un enfant non inhibé, le risque accru conféré par un parent trop investi pourrait être sans conséquence. Ainsi, il pourrait s’avérer plus bénéfique de cibler les parents d’enfants inhibés à l’âge préscolaire.
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Pour citer cet article :
Hudson JL. La relation parent-enfant pendant la petite enfance et le développement de l’anxiété et de la dépression. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Tremblay RE, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/habiletes-parentales/selon-experts/la-relation-parent-enfant-pendant-la-petite-enfance-et-le. Actualisé : Décembre 2014. Consulté le 21 novembre 2024.
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