[Archivé] L’impact de la maltraitance sur le développement psychosocial des jeunes enfants
Seth Pollak, Ph.D.
University of Wisconsin at Madison, États-Unis
Introduction
La maltraitance envers les enfants est un phénomène horrible au cours duquel les jeunes enfants ne reçoivent pas la protection, les soins, le soutien ni les interactions dont les humains et beaucoup d’autres espèces entourent généralement leur progéniture. Il existe une abondante documentation sur le fait que les enfants qui subissent la maltraitance sont à risques élevés de problèmes comportementaux, affectifs et sociaux ultérieurs.1 Cependant, les mécanismes précis qui relient l’expérience de la maltraitance au développement de ces problèmes sont en grande partie inconnus. Une question majeure demeure en matière de développement : comment se fait-il que l’adversité ou un traumatisme pendant l’enfance peut conduire à une série de problèmes, y compris la dépression, l’agressivité, l’abus de substances, les problèmes de santé et la tristesse générale bien des années plus tard? En posant cette question dans des termes de mécanismes plutôt qu’en se contentant de décrire les types de problèmes observés chez les enfants maltraités, on est susceptible d’aider à déterminer les interventions les plus efficaces pour ces enfants. Le développement socio-affectif des enfants maltraités fournit un indice irréfutable de l’endroit où il faut commencer à chercher des réponses à ces questions.
Sujet
La maltraitance envers les enfants est un sérieux problème de santé publique. Chaque année, presque 13 enfants sur 1 000 aux États-Unis et 10 sur 1 000 au Canada sont des victimes confirmées d’une forme ou d’une autre de maltraitance.2,3 Beaucoup plus d’enfants vont subir des formes de maltraitance qui sont plus difficiles à confirmer, comme par exemple la violence affective ou la négligence. Ces formes de maltraitance sont plus difficiles à détecter et à mesurer, mais elles causent aussi des dommages immenses.
Problèmes
La maltraitance envers les enfants est une perturbation des relations qui sont censées fournir une protection et un soutien aux enfants. La famille est le principal contexte dans lequel les jeunes enfants apprennent les types de comportements sociaux auxquels il faut s’attendre des autres ainsi que comment interpréter et émettre des signaux affectifs. Dans les familles violentes, les enfants sont exposés à des formes mal adaptées de communication, de comportements et à de mauvais modèles d’autorégulation adaptative.
Contexte de la recherche
Comme la maltraitance est non seulement un problème de santé mentale, mais aussi d’ordre sociolégal, les familles ne sont peut-être pas enclines à participer à des études. Il faut donc faire en sorte que des échantillons représentatifs des enfants maltraités soient inclus dans des recherches, mais cela doit se faire de façon non coercitive.
De plus, lors des études, il est important de distinguer les effets de la maltraitance de ceux de la pauvreté. Par exemple, certains parents peuvent ne pas disposer des ressources nécessaires pour procurer une certaine qualité de nourriture, d’expériences éducatives ou de soins médicaux à leurs enfants. Dans ce cas, on pourrait parler de maltraitance si les parents ne faisaient pas tout ce qui est en leur pouvoir pour profiter des ressources communautaires disponibles (par exemple, demander des bons de nourriture, utiliser l’urgence).
Enfin, il est difficile de définir la maltraitance envers les enfants, et les définitions varient selon les études. Certaines peuvent inclure tous les enfants ayant subi n’importe quelle sorte d’expérience traumatisante ou nuisible ou un parentage déficient, alors que d’autres s’intéressentparticulièrement aux enfants victimes d’abus sexuel, de violence physique ou de négligence,ouceux qui ont été témoins de violence familiale. Toutes ces expériences auront probablement des effets différents sur l’enfant en développement. Certaines équipes de recherche posent directement des questions aux enfants et aux parents sur la maltraitance, d’autres utilisent des rapports de police ou de la cour et d’autres encore suivent des lignes directrices établies par les agences de bien-être de l’enfant.
Questions clés pour la recherche
Les questions centrales dans l’étude de la maltraitance envers les enfants concernent les mécanismes sous-jacents qui relient l’expérience pendant la prime enfance à des problèmes ultérieurs. Qu’est-ce qui change chez l’enfant après cette expérience? Qu’est-ce qui, dans l’environnement violent, provoque précisément les changements? Comment la fréquence, la gravité, le type de mauvais traitements et l’étape du développement de l’enfant au moment où ils se produisent sont-ils reliés aux différentes conséquences comportementales? Pourquoi la maltraitance est-elle associée à tant de problèmes différents? Et surtout, qu’est-ce qui peut être fait pour corriger et prévenir ces problèmes?
Récents résultats de recherche
L’habileté des enfants à reconnaître les émotions et à y répondre de façon appropriée est une compétence sociale particulièrement importante. Cependant, les enfants maltraités manifestent souvent des modèles de développement affectif inhabituels. Ces enfants réussissent mal des tâches qui permettent de mesurer à quel point ils reconnaissent et expriment bien les émotions.4-6 Par exemple, les enfants violentés physiquement manifestent souvent du retrait et de l’agressivité,7-9 sont réceptifs aux signes reliés à l’agressivité et s’en souviennent aisément,10,11 et ont tendance à attribuer de l’hostilité aux autres.12 Comme on pouvait s’y attendre, de tels ensembles de comportements conduisent souvent ces enfants à des difficultés interpersonnelles.13,14
Un des mécanismes sous-jacents au développement de problèmes de comportement chez les enfants maltraités est que les expériences traumatisantes, comme la maltraitance, augmentent de façon sélective la sensibilité à certains signes affectifs fondamentaux, surtout la colère, au prix de leur apprentissage de la lecture des autres émotions.15 Par exemple, les enfants violentés ont tendance à percevoir les visages en colère comme très saillants comparés à d’autres émotions; en revanche, les enfants négligés ont tendance à avoir des difficultés à différencier les expressions faciales à d’autres émotions.6 Des études récentes ont suggéré que les enfants violentés manifestent des augmentations relatives de l’activité électrique du cerveau lorsqu’ils portent une attention particulière à des visages en colère.10, 16,17
Le stress extrême associé à la maltraitance peut aussi conduire à des problèmes de régulation du stress et des émotions, y compris à la dépression,18,19 à l’abus de substances,20 qui reflètent probablement des tentatives de réguler les états affectifs.21 À l’âge adulte, les victimes de la maltraitance ont des taux plus élevés d’anxiété, de troubles alimentaires et du syndrome de stress post traumatique.22-23 Un domaine d’intérêt actuel est l’effet des hormones de stress élevées, comme le cortisol, sur le développement de zones du cerveau associées à la mise en mémoire et au rappel.24,25 Bien que la plupart des enfants victimes de maltraitance ne deviennent pas des criminels en grandissant, environ 30 % d’entre eux adopteronttoutefoisdes comportements criminels.26,27
Conclusions et implications
La maltraitance envers les enfants perturbe le cours normal de leur développement affectif. Les enfants maltraités sont à risque d’une grande variété de problèmes reliés à la santé mentale, y compris la dépression, l’anxiété, l’abus de substances, la criminalité et d’autres formes de comportement affectif mal régulé. De nouvelles études prometteuses se concentrent sur les systèmes d’attention et de stress du cerveau et suggèrent des pistes sur la façon dont la maltraitance peut influencer le développement affectif. En attendant, davantage de travaux sont nécessaires afin d’élaborer des interventions efficaces pour ces enfants.
Bien que la maltraitance soit présente dans toutes les couches socioéconomiques, la pauvreté et le stress environnemental en augmentent la probabilité. Les adultes qui vivent dans la pauvreté éprouvent souvent des niveaux élevés de stress et d’instabilité sociale, des problèmes affectifs et des niveaux élevés d’abus de substances ou de dépression, ce qui amoindrit leur capacité d’offrir un parentage efficace.
Cependant, la pauvreté n’est pas la seule explication de la maltraitance. Les familles qui maltraitent leurs enfants manquent souvent de contacts sociaux, y compris d’amis, de famille étendue et de voisins dans la communauté. Alors qu’un tel manque de contacts sociaux peut refléter les difficultés interpersonnelles des parents, pour les enfants cela signifie qu’ils ont accès à un nombre limité d’adultes qui peuvent offrir un modèle de comportements prosociaux et qu’ils ont moins d’occasions d’établir des relations avec des adultes stables. Ceci est important parce que souvent, les parents violents ont été peu exposés à de bons modèles de rôle parental et manquent de connaissances sur le développement de l’enfant, sur les stratégies éducatives, la résolution de problèmes sociaux et les méthodes pour affronter la colère et le stress. La recherche sur les services de traitement des enfants maltraités et de leur famille a été retardée par notre manque de compréhension actuelle des processus particuliers que l’on devrait cibler pour y remédier. De nouvelles recherches sur les mécanismes neurobiologiques sont en cours. Étant donné que la plupart des interventions actuelles manquent de données empiriques sur leur efficacité, la prévention de la maltraitance envers les enfants est extrêmement prometteuse.
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Pour citer cet article :
Pollak S. [Archivé] L’impact de la maltraitance sur le développement psychosocial des jeunes enfants. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/limpact-de-la-maltraitance-sur-le-developpement-psychosocial. Publié : Janvier 2005. Consulté le 23 novembre 2024.
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