Maltraitance envers les enfants et impacts sur le développement psychosocial : Épidémiologie


McGill Centre for Research on Children and Families, Canada
, 2e éd. rév.

Version PDF

Introduction

La maltraitance envers les enfants constitue une menace sérieuse pour leur développement sain. Il est essentiel de comprendre la portée et la gravité de la maltraitance pour développer des interventions cliniques et des politiques sociales afin de protéger les enfants à risque et de traiter les victimes. Cet article décrit l’incidence, la prévalence et la sévérité de la maltraitance envers les enfants et fournit une brève discussion des implications pour les politiques et la pratique. 

Définitions

La maltraitance envers les enfants est le terme large que l’on utilise pour décrire les actes de violence et de négligence perpétrés par les adultes ou les enfants plus âgés envers les enfants. Ils regroupent quatre grandes catégories : violence physique, agression sexuelle, négligence et violence psychologique. La violence physique va d’agressions graves qui peuvent blesser les enfants de façon permanente ou les tuer à des sévices physiques punitifs ou encore au fait de secouer les nourrissons. Les agressions sexuelles incluent les rapports sexuels, les attouchements, l’exhibitionnisme, la sollicitation et le harcèlement sexuels. La négligence renvoie à l’incapacité de superviser ou de protéger un enfant ou de répondre à ses besoins physiques. La négligence se produit souvent dans un contexte d’extrême pauvreté où les parents peuvent ne pas avoir les ressources ou le soutien nécessaires pour répondre aux besoins d’un enfant. La violence psychologique inclut la violence verbale extrême ou courante (menaces, dépréciation, etc.) et le manque systématique de dévouement ou d’attention nécessaires pour que l’enfant se développe sainement. L’exposition des enfants à la violence conjugale est de plus en plus reconnue comme étant une forme de violence psychologique ou une forme de violence distincte.

Incidence annuelle

Au Canada, les statistiques sur l’incidence de la maltraitance envers les enfants sont répertoriées périodiquement dans l’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants (EIC), qui porte sur les cas pour lesquels les organismes provinciaux et territoriaux de protection de l’enfance ont fait enquête.1 Le cycle de 2008 de cette étude révèle qu’il y a eu quelque 235 497 enquêtes sur la maltraitance d’enfants de moins de 16 ans au Canada en 2008 et que ces enquêtes ont permis de corroborer 85 440 cas de maltraitance, soit un taux de 14,19 victimes pour 1 000 enfants.a

Plus du tiers de ces enfants, soit 31 506 enfants, avaient moins de 6 ans.1 Le taux de victimes était supérieur chez les jeunes enfants (17,10 pour 1 000 enfants de moins de 1 an comparativement à 14,57 pour les enfants de moins de 5 ans), mais aucun schéma clair n’est ressorti pour le sexe (voir le diagramme à barres).

Taux des cas de maltraitance corroborée envers des enfants de moins de 6 ans, par âge et par sexe, Canada, 2008 (ECI 2008)

Il est difficile de comparer directement les taux d’incidence au Canada et dans les autres pays à cause des différentes façons de signaler les cas et de procéder aux enquêtes. Le taux de victimes rapporté aux États-Unis en 2008 était de 10,3 pour 1 000 enfants,2 alors qu’en Australie, le taux pour le même exercice s’établissait à 6,9 pour 1 000 enfants.3

Prévalence pendant l’enfance

Les études de prévalence mesurent les taux de victimes pendant l’enfance, contrairement aux statistiques d’incidence qui mesurent les taux pendant une année donnée. Les résultats d’un sondage mené à l’échelle du Canada montrent que 32 % des personnes interrogées âgées de 18 ans et plus ont déclaré avoir subi un certain type de maltraitance pendant leur enfance, notamment sous forme de violence physique (26,1 %), de violence sexuelle (10,1 %) et d’exposition à la violence conjugale (7,9 %).4 Les femmes sont plus susceptibles de signaler avoir été victimes de violence sexuelle par rapport aux hommes (14,4 % contre 5,8 %). Ces résultats concordent avec ceux issus de sondages menés en Ontario5 et au Québec.6 En particulier, dans le sondage réalisé au Québec, seulement 21,2 % des adultes indiquaient avoir communiqué leur statut de victime au cours du mois consécutif au premier événement de violence.

Blessure et décès

Les blessures physiques causées par les mauvais traitements sont relativement rares. L’EIC de 2008 a découvert que les blessures physiques étaient consignées dans 8 % des 26 339 cas de maltraitance avérée contre des enfants, de la naissance à l’âge de 5 ans. Dans la plupart des cas, il s’agissait d’ecchymoses et d’écorchures ne nécessitant pas de soins médicaux. Les chercheurs ont rapporté des blessures nécessitant des soins médicaux dans 4 % des cas d’enfants de 1 à 5 ans. Les blessures étaient généralement plus graves chez les enfants de 1 an : 8 % ont nécessité des soins médicaux et 3 % étaient des traumatismes crâniens. 

La violence grave causant des blessures est particulièrement préoccupante pour les jeunes enfants à cause du risque élevé de séquelle permanente ou de décès pendant les quatre premières années de la vie. Les enfants de moins de 5 ans sont à risque plus élevé d’être tués par un parent : 50 % des enfants de moins de 17 ans qui sont tués par un membre de la famille ont moins de quatre ans.7 Les taux d’homicides sur des enfants et des adolescents commis par un membre de la famille diminuent :  le taux d’homicide lié à la famille envers les enfants et les adolescents a diminué de 18 % (de 3,4 en 2007 à 2,8 en 2017 pour une population de 1 million).8

Violence psychologique

La plupart des cas de maltraitance signalés aux services d’aide à l’enfance concernent les situations où l’enfant a déjà subi une certaine forme de violence psychologique ou est fortement à risque de subir de la violence psychologique. Les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables à un ensemble d’issues négatives durables sur le plan cognitif, psychosocial et comportemental, y compris les problèmes d’apprentissage, les problèmes avec les pairs, la dépression, l’anxiété et le comportement d’agression.9 La maltraitance des jeunes enfants modifie la façon dont ils interprètent les interactions interpersonnelles, ce qui a un impact sur la nature de leurs relations avec les membres de leur famille et leurs pairs.10 L’accumulation de données démontrant les effets neurobiologiques de la maltraitance, notamment la violence psychologique et la négligence, au cours de la petite enfance est particulièrement préoccupante.11

Tendances

La maltraitance envers les enfants est de plus en plus reconnue comme un problème de santé publique de plus en plus préoccupant. Le taux de maltraitance a augmenté de plus de 50 %, passant de 9,21 cas avérés sur 1 000 en 1998 à 14,19 en 2008.1 Cette croissance semble attribuable principalement à l’élargissement des mandats et à la reconnaissance accrue de la maltraitance envers les enfants au sein des professionnels qui travaillent auprès d’enfants, surtout pour ce qui est du taux de négligence qui a presque doublé et du taux d’exposition à la violence conjugale qui a plus que triplé.12,13 En revanche, les signalements d’agression sexuelle contre les enfants ont diminué de plus de 50 % entre 1998 et 2008. L’augmentation des cas d’exposition à la violence conjugale est surtout dominée par un changement remarquable de la réaction de la police, des professionnels de la santé et du personnel des écoles, qui sont responsables de presque 90 % de tous les signalements de violence familiale. La diminution des signalements d’agression sexuelle contre les enfants est plus difficile à interpréter. Bien que la baisse des signalements puisse être attribuée à une diminution du taux de victimes dans la population, certaines études démontrent que ce déclin reflète des changements au niveau des tendances de signalement et des procédures d’enquête.14

Implications pour les politiques et la pratique

La maltraitance envers les enfants est un problème de santé notable qui affecte plus de 85 000 enfants par an au Canada. Les enfants violentés et négligés sont à risque très élevé de développer des problèmes sociaux, affectifs et cognitifs à long terme. L’intervention auprès de ces enfants a cependant été fragmentaire. À part l’avènement universel de lois obligeant le signalement de cas dans tout le Canada, peu de programmes de traitement et de prévention ont été systématiquement élaborés pour répondre aux besoins de ces enfants. Un examen des taux de victimes révèle une population diverse, allant de cas de violence physique grave nécessitant une réponse urgente à des cas complexes de négligence et d’exposition à la violence conjugale, où le rôle des organismes de protection de l’enfance peut avoir besoin d’être revu. Sous la pression continuelle du nombre croissant de cas, les intervenants des services de protection de l’enfance cherchent des modèles plus efficaces pour collaborer avec d’autres intervenants.12,13

Références

  1. Trocmé N, Fallon B, MacLaurin B, Sinha V, Black T, Fast E, Holroyd J. Canadian Incidence Study of Reported Child Abuse and Neglect 2008 (CIS-2008): Major Findings. Ottawa, ON: Public Health Agency of Canada; 2010: 122.
  2. U.S. Department of Health & Human Services. Child Maltreatment 2009. Washington, DC: Administration on Children, Youth and Families, Children’s Bureau. 2010.
  3. AIHW. Child protection Australia 2008-09. Cat. no. CWS 35. Canberra: AIHW. 2010.
  4. Afifi T, MacMillan H, Boyle M, Taillieu T, Cheung K, Sareen J. Child abuse and mental disorders in Canada. Canadian Medical Association Journal 2014; 186(9):324-336.
  5. MacMillan HL, Tanaka M, Duku E, Vaillancourt T, Boyle MH: Child physical and sexual abuse in a community sample of young adults: Results from the Ontario Child Health Survey. Child Abuse & Neglect 2013;37:14-21.
  6. Hébert M, Tourigny M, Cyr M McDuff P, Joly J. Prevalence of childhood sexual abuse and timing of disclosure in a representative sample of adults from the province of Quebec. Canadian Journal of Psychiatry 2009;54:631-636.
  7. Burczycka M, Conroy S.  Family violence in Canada: A statistical profile, 2015. Statistics Canada. Catalogue no. 85-002-X. 2017.
  8. Burczycka M, Conroy S, Savage L. Family violence in Canada: A statistical profile, 2017. Statistics Canada, Catalogue no. 85-002-X. 2018.
  9. Institute of Medicine and National Research Council. New directions in child abuse and neglect research. Washington, DC: The National Academies Press; 2014.  
  10. Luke N, Banerjee R. Differentiated associations between childhood maltreatment experiences and social understanding: A meta-analysis and systematic review. Developmental Review 2013;33(1):1-28.
  11. Teicher M, Samson J. Annual Research Review: Enduring neurobiological effects of childhood abuse and neglect. Journal of Child Psychology and Psychiatry 2016;57(3):241-266.
  12. Trocmé N, Fallon B, MacLaurin B, Chamberland C, Chabot M, Esposito T. Shifting definitions of emotional maltreatment: An analysis child welfare investigation laws and practices in Canada. Child Abuse & Neglect 2011; 35(10):831-840.
  13. Trocmé N, Fallon B, Sinha V, VanWert M, Kozlowski A, MacLaurin B. Differentiating between child protection and family support in the Canadian child welfare system’s response to intimate partner violence, corporal punishment, and child neglect. International Journal of Psychology. 2013;48(2):128-140. 
  14. Collin-Vezina D, Helie S, Trocmé N. Is child sexual abuse declining in Canada? An analysis of child welfare data. Child abuse & Neglect 2010;34(11):807-812.

Note :

a Pour 17 918 cas, il n’y avait pas de preuves suffisantes pour corroborer les mauvais traitements, mais la maltraitance est demeurée soupçonnée. Dans 71 053 cas, l’enquête n’a pas permis de corroborer la maltraitance. Enfin, 61 431 cas ont fait l’objet d’une enquête pour risque futur de maltraitance même s’il n’y avait pas eu d’allégations particulières de mauvais traitements.

Pour citer cet article :

Trocmé N. Maltraitance envers les enfants et impacts sur le développement psychosocial : Épidémiologie . Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. MacMillan HL, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/maltraitance-des-enfants/selon-experts/maltraitance-envers-les-enfants-et-impacts-sur-le. Actualisé : Mai 2020. Consulté le 20 décembre 2024.

Texte copié dans le presse-papier ✓