Les relations fraternelles et leur impact sur le développement des enfants


Département de l’éducation & Centre de recherche en développement humain, Concordia University, Canada
, 2e éd. rév.

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Introduction

La majorité des enfants dans le monde ont au moins un frère ou une sœur. Les relations fraternelles sont susceptibles de durer plus longtemps que toute autre relation au cours de la vie et font partie intégrante de la vie familiale. Pourtant, comparativement à la profusion d’études publiées sur les relations entre parents et enfants et entre les pairs, la communauté scientifique n’a accordé que peu d’attention au rôle de la fratrie et à son impact sur le développement de l’enfant. Au cours des dernières décennies, la recherche sur les relations fraternelles chez les jeunes enfants s’est déplacée de l’examen des variables structurelles (par exemple l’âge, le rang de naissance) vers des variables de processus (par exemple, les échanges positifs et négatifs). La fratrie est considérée comme une partie intégrante des systèmes familiaux1,2 et elle crée un contexte important pour l’apprentissage et le développement des enfants,3 mais l’étudier sous cet angle pose plusieurs défis méthodologiques et conceptuels.

Sujet

Quatre caractéristiques relatives aux relations fraternelles dominent pendant la petite enfance.1,2 Premièrement, les relations fraternelles sont chargées d’émotion, et caractérisées par de fortes émotions désinhibées de nature positive, négative ou parfois ambivalente.1,2,4-6 Deuxièmement, ces relations sont souvent caractérisées par une grande intimité : comme les jeunes enfants passent beaucoup de temps ensemble, ils se connaissent très bien. De cette longue histoire et de cette connaissance intime, les enfants puisent du soutien affectif et instrumental.5 Cette intimité leur permet de s’adonner à des jeux de simulation,7-11 à l’humour,12-15 de vivre des conflits,6,16-21 et de développer une compréhension du point de vue de l’autre, ainsi que leurs pensées et sentiments.22-26 Troisièmement, il existe de grandes différences individuelles en ce qui concerne la qualité des relations fraternelles.1,2,4,5 Quatrièmement, la différence d’âge entre les frères et les sœurs occasionne souvent des disputes liées aux questions de pouvoir, de contrôle,27-32 de rivalité et de jalousie,33-35 mais elle crée aussi un contexte propice à des échanges complémentaires plus positifs, tels que l’enseignement,36-40 l’aide1,2,5,40,41 les soins,5,42,43 et les comportements prosociaux.41,44-46 De manière générale, les caractéristiques des relations fraternelles posent un défi pour les parents, à cause de la nature potentiellement émotive et intense de ces relations. Une question délicate résultant des différences d’âge au sein de la fratrie est celle du traitement parental différentiel entre les enfants du point de vue de la fratrie.6,47-49

Problèmes

La littérature sur la fratrie comporte plusieurs difficultés d’ordre méthodologique. Le rang de naissance et les différences d’âge sont confondus dans plusieurs études, de sorte qu’il est difficile de distinguer les différences liées au rôle (p. ex., l’ordre des naissances) et celles liées au stade développemental.2,20 Le recrutement de familles qui ont de jeunes enfants et la collecte de données à la maison peuvent prendre du temps, mais permettent d’obtenir des observations riches en milieu naturel. Jusqu’à présent, les études ont généralement porté sur des dyades fraternelles issues de familles de classe moyenne, biparentales et majoritairement blanches aux États-Unis, au Canada et en Europe occidentale. On en sait donc moins sur les familles monoparentales3,50 qui comptent plus de deux enfants, qui proviennent de différents groupes socio-économiques3 ou de familles de cultures variées, bien que certaines études aient été menées auprès de familles mayas46,51,52  et américano-mexicaines.53-55 Au cours des dernières années, différentes études se sont penchées sur les interactions entre frères et sœurs dans différents contextes culturels, notamment au sein des familles chinoises,56-58 grecques,59 turques, hollandaises et indiennes.60,61

Contexte de la recherche

Plusieurs études longitudinales ont suivi les fratries et leur famille dès la naissance du deuxième enfant62 pendant et après la petite enfance.26,33,48,63-72 Bien qu’il existe une grande variété de réactions face à la naissance d’un frère ou d’une sœur, la plupart des enfants adoptent une attitude positive, sont enthousiastes à l’idée d’aider leurs parents à s’occuper du bébé et affichent un comportement ordinaire ou très peu perturbé.62 Par ailleurs, lorsque le nouveau-né atteint la petite enfance, les interactions positives et amicales entre les frères et sœurs l’emportent bien souvent sur les interactions négatives.73 La plupart des études menées durant cette période ont eu recours à des observations en milieu naturel, c’est-à-dire qu’elles ont examiné des interactions fraternelles à la maison, généralement avec la mère, bien que quelques études aient aussi inclus les pères.21,33,56,71,72,74,75 En complément à ces données observationnelles, des entrevues ou des questionnaires sont administrés aux membres de la fratrie et aux parents. De plus, des scénarios hypothétiques, certaines tâches structurées comme la négociation de conflits, l’enseignement de tâches, des séances de jeux ainsi que des mesures de développement social, affectif et cognitif de l’enfant peuvent être utilisés.

Questions clés pour la recherche

Une question fondamentale entourant la recherche sur les relations fraternelles concerne les raisons pour lesquelles certains frères et sœurs semblent s’entendre si bien, démontrer de la camaraderie et retirer de cette relation du soutien affectif et instrumental, alors que d’autres dyades fraternelles ont une relation plus perturbée et conflictuelle.1,2,17,61,76 Plusieurs questions clés sont issues de cette question principale.

  1. Comment la qualité et la nature des relations fraternelles sont-elles associées au développement socio-affectif des enfants, à leur adaptation, à leurs interactions ultérieures dans d’autres relations interpersonnelles et à leur compréhension de leur environnement social?
  2. Comment les parents devraient-ils intervenir dans les conflits entre leurs enfants? 
  3. Quel rapport y a-t-il entre le traitement parental différentiel (c’est-à-dire le traitement préférentiel d’un enfant) et les relations fraternelles?
  4. Quel rôle jouent l’âge, le rang de naissance et le sexe de l’enfant dans la nature et la qualité des relations fraternelles? 
  5. Comment la qualité des relations fraternelles précoces affecte-t-elle les interactions de la fratrie au fil du temps?

Résultats récents de la recherche 

Les relations fraternelles constituent un contexte d’apprentissage important pour le développement social, affectif, moral et cognitif de l'enfant.1,2,26,77 Le jeu fraternel joue un rôle clé dans le développement de la compréhension du point de vue des autres, notamment de leurs émotions, pensées, intentions et croyances.1,2,24,77 Les frères et sœurs semblent manifester une compréhension des idées et des émotions des autres pendant les interactions de la vie réelle bien avant de montrer cette compréhension lors d’évaluations plus formelles.1,42,78 Cette compréhension se manifeste surtout pendant les épisodes d’imitation, de taquinage, d’humour partagé, de jeux de simulation, de résolution de conflits,  d’enseignement à la fratrie, de comportements prosociaux, ainsi que par l’utilisation de communications connectées, du langage affectif et mental lors des conversations.1,2,10-15,23,42,45,79-81 Les conflits peuvent constituer l’occasion pour les frères et sœurs d’apprendre à résoudre des conflits de façon constructive afin de trouver une solution mutuellement satisfaisante pour les deux enfants. Ils permettent aussi aux enfants d’apprendre à réguler leurs émotions, favorisent la compréhension mutuelle et incitent les enfants à adopter le point de vue de l’autre.42 Les jeunes frères et sœurs qui jouent souvent à des jeux de simulation comprennent mieux les pensées et émotions des autres, font preuve de créativité dans leurs thèmes de jeux et leur utilisation des objets et sont plus susceptibles de construire une compréhension commune lors du jeu.7,9-11,82,83 Les différences individuelles dans les jeux de simulation et dans les stratégies de gestion de conflits prédisent la compréhension sociale ultérieure des enfants,14,23,42,63,84 les habiletés de résolution de conflit à l’âge de six ans85 et l’adaptation en première année.86

Un domaine important de la recherche traite des conflits fraternels et de la meilleure façon d’intervenir pour les parents quand leurs enfants sont en désaccord. Les conflits fraternels sont fréquents,21,87 souvent mal résolus,6,88,89 et parfois très agressifs, violents ou même abusifs.17,61,90 Lorsque les parents sont très stricts et adoptent une approche punitive de la discipline, les conflits entre frères et sœurs sont plus nombreux et les interactions moins amicales, avant même que le plus jeune enfant ait atteint l’âge d’un an.62,73 De plus, des conflits fréquents ou coercitifs au sein de la fratrie, couplés à du harcèlement pendant l’enfance, sont également associés à une moins bonne capacité d’ajustement, tant sur le moment16,91 que plus tard dans la vie de la personne.75,92 Des niveaux élevés de conflits peuvent être particulièrement problématiques si la chaleur fraternelle est absente.61,76,93  Étant donné ces résultats, il n’est pas surprenant que les conflits fraternels soient une source de soucis pour les parents,5 qui cherchent la meilleure façon d’intervenir.33,94 Bien que la plupart des parents interviennent en portant un jugement sur la situation,95 certaines interventions les ont entraînés à agir plutôt en tant que médiateur dans les conflits entre leurs enfants.6,96-100 En structurant le processus de négociation tout en laissant le choix de la solution finale aux enfants eux-mêmes, ces interventions suggèrent une façon prometteuse d’améliorer l’issue du conflit tout en aidant les enfants à se comprendre mutuellement et à développer des stratégies de résolution plus constructives.

Quand les parents traitent différemment leurs enfants en variant directement la quantité d’affect positif, de sensibilité, de contrôle, de discipline et de comportements intrusifs à l’égard des deux enfants, les relations fraternelles sont susceptibles d’être plus conflictuelles et moins amicales,47,49,72,101 mais uniquement si les enfants estiment ces différences injustes.102-105 Plus généralement, la jalousie entre frères et sœurs au cours des années préscolaires est liée à des relations de moins bonne qualité entre eux plus tard pendant l’enfance.33-106 

Dans les dyades fraternelles, les frères et sœurs aînés adoptent souvent les rôles de leader, d’enseignant, d’aidant et de dispensateur de soins, alors que les cadets sont plus susceptibles d’imiter, de suivre, d’assumer le rôle d’apprenant et de solliciter des soins et de l’aide.2,6,38,40,45,90,107 Les cadets imitent souvent le langage et les actions des aînés au cours du jeu, ce qui constitue une façon d’établir une compréhension partagée de son déroulement.80,108 Les frères et sœurs démontrent la capacité de s’enseigner mutuellement lors de tâches semi-structurées ainsi que durant leurs jeux à la maison,38,39,55,109-112 en tenant compte des connaissances et de la compréhension de l’autre. La fratrie peut être une source de soutien pendant la petite enfance, notamment lorsque les parents s’absentent pour une courte période,5,43 et au milieu de l’enfance, lors d’expériences familiales stressantes.43,66,113 Les différences naturelles en matière de pouvoir, qui résultent de la différence d’âge entre les enfants, signifient que ceux-ci vivront probablement des expériences différentes au sein de la famille. Par exemple, le cadet aura l’avantage d’apprendre grâce à son aîné, mais ce n’est pas le cas pour ce dernier, ce qui entraîne parfois un développement précoce du cadet dans certains domaines.114

Les sœurs aînées sont plus susceptibles de prodiguer des soins et de l’aide que les frères aînés,41,43 tandis que, d’après des études auprès des parents, les garçons seraient plus agressifs envers leurs frères et sœurs que les filles.17 Néanmoins, il y a peu de différences systématiques attribuables à l’âge ou au sexe dans les relations fraternelles pendant la petite enfance. Au fur et à mesure que les cadets acquièrent des compétences cognitives, linguistiques et sociales en vieillissant, ils commencent à tenir des rôles plus actifs dans les interactions fraternelles, par exemple en commençant plus de jeux44 ou en enseignant à leur frère ou sœur.6,38,64 Alors, le déséquilibre de pouvoir précoce qui existe dans la fratrie semble devenir moins éminent au fur et à mesure que les frères et sœurs vieillissent, et les interactions deviennent plus équitables.2,6,29,34,50,78

Il y a une continuité dans la qualité des relations fraternelles au cours des premières années et jusqu’au début de l’adolescence, surtout en ce qui concerne les comportements et sentiments positifs des aînés envers les plus jeunes.53,67,68,80,115,116 Cependant, bon nombre des études recensées ont documenté de grandes différences individuelles dans la qualité des relations fraternelles. Ces différences pourraient être en partie attribuables à d’autres facteurs, notamment le tempérament des enfants,1,6,62 le nombre de frères et sœurs,69 la compréhension sociale des enfants,2,24,69 et le style parental.62,73,101

Conclusions

Les relations fraternelles constituent un véritable laboratoire naturel où les jeunes enfants apprennent à connaître le monde.2,3 C’est un endroit qui offre des possibilités d’apprendre à interagir avec des partenaires de jeu intéressants et engagés, à gérer les désaccords et à réguler ses émotions positives et négatives de façon socialement acceptable.5,26,42 De cette façon, il permet aux jeunes enfants de développer leur compréhension des relations sociales avec les membres de leur famille, qui peuvent parfois être proches et aimants et parfois être méchants, faire preuve de jalousie ou agir de manière agressive.33,75,92 De plus, les relations fraternelles offrent aux enfants de nombreuses occasions d’utiliser leurs habiletés cognitives pour convaincre les autres de leurs opinions, d’enseigner certains comportements ou d’imiter ceux des autres. Les bienfaits d’une relation fraternelle chaleureuse et positive peuvent durer toute la vie, alors que les relations précoces plus difficiles peuvent être associées à des conséquences développementales problématiques.17,56,61,76 L’objectif pour les jeunes frères et sœurs (avec le soutien de leurs parents) serait donc de trouver un équilibre entre les aspects positifs et négatifs de leurs interactions au fur et à mesure qu’ils grandissent. 

Implications pour les politiques et les services 

L’adoption de conduites parentales sensibles et adéquates implique que les adultes emploient des stratégies adaptées au développement de l’enfant et à son âge. Les stratégies choisies par les parents pour gérer les conflits fraternels exercent une grande influence sur la manière dont les enfants apprennent à s’entendre avec les autres : les stratégies constructives (par exemple des solutions justes et négociées, des comportements prosociaux) plutôt que destructives (comme la coercition et l’agressivité) sont à prioriser.6,94,98,117 Certains parents peuvent avoir besoin d’aide dans ce domaine et des besoins existent pour des programmes d’éducation parentale et d’intervention auprès de la fratrie.6,42,94 Des études démontrent que les interventions visant à enseigner aux parents à médiatiser les querelles fraternelles peuvent être efficaces,6,98,99 mais que la diminution des conflits n’est généralement pas associée à une augmentation des interactions fraternelles prosociales.76 Divers programmes d’intervention ont été développés.5,6,96,100,118 Certains programmes visent à aider les parents à développer de meilleures stratégies d’encadrement, mais ne ciblent pas directement la fratrie. Cependant, un programme d’intervention prometteur visant à augmenter les interactions prosociales entre les jeunes enfants s’est avéré efficace pour améliorer la qualité des relations fraternelles et les habiletés de régulation émotionnelle.119-121 Ce programme a également permis d’améliorer la régulation émotionnelle des parents.122 Cela dit, il est clair que le développement ultérieur de programmes d’intervention visant à améliorer les relations fraternelles problématiques constitue un domaine de recherche à développer dans une perspective de services et politiques adaptés.6,96

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Pour citer cet article :

Howe N, Recchia H, Kinsley C. Les relations fraternelles et leur impact sur le développement des enfants. Dans: Tremblay RE, Boivin M, Peters RDeV, eds. Boivin M, éd. thème. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants [en ligne]. https://www.enfant-encyclopedie.com/relations-entre-pairs/selon-experts/les-relations-fraternelles-et-leur-impact-sur-le-developpement. Actualisé : Mars 2023. Consulté le 21 novembre 2024.

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